Que reste-t-il du secret bancaire en Belgique ?

Du lundi 8 novembre 2021 au lundi 2 novembre 2026

Le secret bancaire belge est à l’agonie. Cela fait déjà dix ans qu’il a été sérieusement écorné, mais les récentes dispositions législatives vont terminer de l’achever. De fait, « le secret bancaire belge est clairement réduit à peau de chagrin, en particulier depuis l’obligation faite aux banques de communiquer, au plus tard le 31 janvier 2022, le solde des comptes (à partir du 31 décembre 2020) au point de contact central (PCC) tenu par la Banque nationale de Belgique (BNB). Cette obligation découle d’une récente loi du 20 décembre 2020 », explique l’avocat fiscaliste Denis-Emmanuel Philippe, avocat-associé chez Bloom. Les banques belges étaient jusqu’ici tenues de communiquer au PCC les numéros de compte et les types de contrats de leurs clients.

 

Cependant, l’administration fiscale n’a pas accès libre aux données du PCC, elle ne peut pas aller à la pêche aux informations. Ainsi, comme le précise Grégory Homans, managing partner du cabinet d’avocats fiscalistes Dekeyser & Associés, « dans le cadre dedossiers individuels, le PCC peut être interrogé par l’administration fiscale en vue d’un examen approfondi du dossier s’il existe un ou plusieurs indices de fraude. Dans le cadre du datamining, il peut être, moyennant l’approbation de deux conseillers généraux, interrogé par l’administration fiscale en vue d’un examen approfondi des dossiers, pour lesquels un ou plusieurs indices ou signes de fraude fiscale sont constatés dans le cadre du datamining ».

 

Le système actuel implique que l'administration ne peut s'adresser à une banque que si elle a d'abord demandé au contribuable les informations relatives à ses comptes bancaires et qu’il a refusé de communiquer ces informations ou qu'il les dissimule. « Lorsque l'Administration est confrontée à un refus de collaboration de la part du contribuable, elle ne sait généralement pas auprès de quel établissement financier le contribuable pourrait avoir un compte. Dans ce cas, le fisc peut alors consulter la banque de données (PCC) afin de vérifier auprès de quel établissement l'intéressé possède un compte. Bientôt, elle connaîtra immédiatement le solde des comptes, ce qui facilitera grandement sa tâche. Ensuite, le fisc peut s'adresser à l'établissement financier concerné pour requérir les informations souhaitées (notamment tout l’historique des comptes) », explique Denis-Emmanuel Philippe.

 

Précisément, « la banque communiquera les informations suivantes : ouverture et fermeture de compte, octroi et révocation d’une procuration (avec l’identité du mandataire), solde périodique de ce compte bancaire et ses coordonnées, utilisation d’espèces dans des transactions financières, existence de contrat d’assurance-vie, etc. En cas d’indices de fraude, les autorités fiscales ont accès à toutes les données au PCC. En présence de taxation indiciaire, le fisc a uniquement accès aux données relatives aux comptes à l’étrangers », poursuit Grégory Homans.

 

Indices de fraude

Il paraît important de souligner que le fisc peut consulter le PCC sur la base de simples « indices de fraude ». La fraude fiscale ne doit donc pas être concrètement établie. « Les indices ne doivent pas être prouvés, mais ne peuvent pas non plus reposer sur de vagues suppositions ; ils doivent être suffisamment crédibles », explique Denis-Emmanuel Philippe. Quelques exemples concrets : monsieur Dupont détient un compte à l’étranger (auprès d’une banque française ou suisse). Il n’a toutefois pas déclaré le compte dans sa déclaration à l’IPP. Grâce aux fiches CRS, le fisc apprend que Monsieur Dupont n’a pas déclaré certains revenus (dividendes, intérêts, plus-values sur SICAV,…). « Ces deux cas de figures sont très fréquents. Ils déclenchent souvent la consultation du PCC par le fisc. Attention : une simple erreur matérielle dans la déclaration fiscale (revenus déclarés dans la mauvaise rubrique), ou une introduction tardive de la déclaration fiscale, ne constituent pas des indices de fraude fiscale. Il est important de préciser que le PCC n’a pas de pouvoir d’appréciation : il doit communiquer les numéros de comptes (et bientôt aussi les soldes des comptes) au fisc », prévient l’avocat.

 

Look back

Par ailleurs, autre évolution récente, la circulaire de la BNB du 8 juin 2021 qui exhorte les banques à vérifier l’origine des capitaux rapatriés à l’occasion des régularisations fiscales précédentes. Selon elle, les banques doivent apprécier si les éléments en leur disposition sont suffisants pour dissiper tout soupçon quant à l’origine illicite des fonds. « Ceci va à mon avis très vraisemblablement aboutir à l’envoi, par les banques, de déclarations de soupçons à la CTIF. Les banques ne prendront aucun risque. Il est aussi vraisemblable que le parquet prendra la balle au bond et entamera, dans certains cas, des poursuites dans le cadre de ses enquêtes en matière de fraude fiscale et d’infractions de blanchiment. Il ne faut pas être un génie pour comprendre que le ministère public et l’administration fiscale vont désormais davantage braquer leurs projecteurs sur les comptes belges », prévient Denis-Emmanuel Philippe.

                    

Même si le secret bancaire est réduit à peau de chagrin, les contribuables belges peuvent encore jouir d’une relative discrétion sur leurs revenus mobiliers «s’ils sont perçus sur un compte en Belgique, dès lors que le précompte mobilier prélevé par les banques belges est libératoire », explique-t-il. En revanche, les revenus immobiliers (les baux sont enregistrés), les revenus professionnels et les pensions n’ont aucun secret pour le fisc belge. 

 

Transparence internationale

Depuis une quinzaine d’années, la transparence financière est devenue l’un des fondamentaux de la finance et de la fiscalité. « Exit l’adage ‘pour vivre heureux, vivons cachés’. Les échanges automatiques d’informations entre les pays se sont intensifiés et s’intensifient encore et ce, au gré des scandales à connotation fiscale », constate Grégory Homans.

 

Cela revient à faire l’observation suivante : les avoirs des contribuables belges sont mieux « cachés » en Belgique qu’à l’étranger. Car, on l’a vu, le fisc belge n’a pas le droit d’aller à la pêche aux informations dans la banque de données du PCC. Une différence de taille avec les informations sur les avoirs des contribuables belges à l’étranger dont il dispose automatiquement via les échanges d’informations (norme CRS) entre les pays. « Ce n’est un secret pour personne : les autorités fiscales belges reçoivent sur un plateau d’argent des renseignements sur les comptes financiers détenus par des résidents belges auprès d’institutions financières établies dans une centaine d’États, notamment le Luxembourg, la Suisse, le Liechtenstein, Hong Kong, Singapour, les Émirats arabes unis (et donc notamment l’Émirat de Dubaï), les Iles Vierges britanniques, les iles Caïmans et le Panama. Imaginer que l’on peut aujourd’hui dissimuler son patrimoine étranger en toute impunité relève du mythe. Il va sans dire que l’administration fiscale exploite cette masse d’informations. Lorsque les informations reçues par le fisc belge sur la base des fiches CRS font apparaître que le contribuable n’a pas déclaré des revenus, le fisc n’hésite pas à envoyer une demande de renseignements, voire un avis de rectification », poursuite Denis-Emmanuel Philippe. « Force est dès lors de reconnaître que les fraudeurs sont plus en sécurité si leur argent noir est logé dans une banque belge plutôt que dans une banque panaméenne, suisse ou luxembourgeoise !  Bien que les récentes évolutions viennent quelque peu tempérer la différence entre ces deux situations. Aujourd’hui, détenir un compte en Belgique abritant des capitaux non déclarés devient périlleux aussi ! »

 

Comme le détaille ci-dessous Grégory Homans, voici ce que sait le fisc belge des avoirs financiers détenus par les résidents belges à l’étranger.

 

Immobilier. Les autorités fiscales belges ont connaissance de l’ensemble des propriétés immobilières que des contribuables belges possèdent à l’étranger et des revenus produits par ces biens. Notons que, depuis la loi du 17 février 2021 instaurant le revenu cadastral à la belge pour les immeubles à l’étranger, les contribuables belges ont désormais une nouvelle obligation déclarative relative à leur immeuble à l’étranger. Ils sont notamment amenés à déclarer le type de bien, son adresse, l’année d’acquisition, la valeur vénale normale du bien et si des travaux ont été réalisés.

 

Avoirs financiers et assurances-vie. Via le CRS, les institutions financières étrangères transmettent notamment les données des comptes bancaires/des assurances-vie ouvert au nom de résidents belges à leurs autorités fiscales locales, qui les communiquent à leur tour aux autorités fiscales. Sur base des informations obtenues dans le cadre du CRS, l’administration fiscale belge compare les données reprises sur la fiche CRS avec les déclarations fiscale du contribuable et, en cas de divergence, ne manque pas d’adresser des demandes de renseignements aux contribuables.

 

Structures et constructions juridiques étrangères. Instauré en 2018, le registre UBO vise principalement à donner aux autorités fiscales de chaque Etat membres un accès aux informations relatives aux bénéficiaires effectifs de structures. Cette nouveauté doit être mis en relation avec l’obligation de droit belge pour les contribuables belges de déclarer, depuis 2014, l’existence de certaines constructions juridiques étrangères et la taxe Caïman en vigueur depuis 2015.

 

Dispositifs transfrontaliers potentiellement agressifs sur le plan fiscal. Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et la fraude fiscale, les dispositifs transfrontaliers potentiellement agressifs sur le plan fiscal (tant dans le domaine de la fiscalité directe que dans la planification patrimoniale) doivent, dès cette année, être renseignés/dénoncés aux autorités fiscales compétentes par les intermédiaires qui les ont initiés ou par ceux qui ont participé aux dispositifs.

 

Sans oublier les revenus professionnels, les jetons de présence et les pensions qu’un résident belge percevrait à l’étranger.

Too late to apologize ?

Dans ce contexte, les contribuables qui n’auraient pas encore ramené à la lumière d’éventuels avoirs tapis dans l’ombre ont-ils encore des options ? « Pour éviter les ennuis, certains décideront en effet de recourir à la - coûteuse - DLU quater qui expire fin 2023. Mais il y a un écueil: la DLU quater ne peut en principe plus être mobilisée pour régulariser les impôts régionaux, en particulier les droits de succession, faute de renouvellement par les Régions de leur législation. Aller vivre auprès de son argent pourrait permettre dans certains cas d’échapper aux échanges automatiques d’informations (ce qui réduit le risque de détection) », explique Denis-Emmanuel Philippe, qui déconseille toutefois fortement cette solution. « Elle ne purge pas les risques fiscaux et pénaux éventuels (dans l’hypothèse où le contribuable aurait des capitaux non déclarés). En outre, dans de nombreux cas, le fisc belge est déjà au courant des comptes financiers détenus par des résidents belges à l’étranger. Enfin, les banques étrangères deviennent elles aussi de plus en plus frileuses. A titre d’exemple, les banques suisses ont resserré les boulons et s’assurent désormais de la « conformité fiscale » de leurs clients dans le cadre de leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment », conclut-il.

Pour sa part, Grégory Homans constate que « la suppression de la procédure de régularisation fiscale fin 2023 témoigne du fait, qu’à cette date, la transparence financière et fiscale sera absolue et les échanges automatiques d’informations optimaux ». Il sera ainsi trop tard pour faire amende honorable !

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