"Huan Ying*" à Canton !

Paru dans JV32, septembre 2012 | Texte : Aurélie Koch

Aujourd'hui à Canton

 

L’arrivée à Canton, en revanche, a été plutôt rude.

 

J’ai mis un an à m’y faire, je l’avoue. Ça a été mon installation la plus compliquée. A Taipei, c’est la pollution qui était gênante, mais pour le reste, tout était assez fluide.

Canton, c’est autre chose, tous les repères explosent. Les Cantonais sont assez bruts de décoffrage, ils font des tas de bruits de bouche, ils ne sont pas très polissés, on sent très vite qu’il faut se battre pour tout.

Pourtant, il y a un staff chez P&G qui s’occupe de votre installation, qui vous guide dans les inscriptions, etc… et je sais que pour les Français qui travaillent dans des boîtes n’offrant pas ces services, ou qui viennent individuellement ici, l’inscription dans une administration relève du véritable parcours du combattant !

 

La première année, ce qui m’a le plus pesé…c’est ma propre inertie.

 

J’ai eu la flemme, tout à coup, d’aller vers les autres, de me refaire un cercle de connaissances, de nouveaux amis. Nous avons des amis que nous voyons encore à Istanbul, Varsovie et Taipei, et là, je ne sais pas pourquoi, j’ai eu du mal à embrayer.

Bien sûr, avec le boulot, les enfants, la vie, mes journées sont remplies, mais je sentais tout de même un vide. On a beau avoir de la famille, des amis quelque part, on a aussi besoin d’entretenir une relation de proximité, de partager le quotidien d’une copine qui vit au même rythme que soi. Et j’ai ressenti une certaine lassitude à faire l’effort de construire ça.

Parce qu’il ne faut pas se leurrer, être expatrié, c’est aussi renouveler sans cesse l’effort d’aller vers les autres. Et moi, en arrivant, j’ai eu le reflexe de me dire « oh la la, encore de nouvelles têtes, qui vont partir ensuite, à quoi bon ? ».

Heureusement, ça n’a pas duré longtemps, et aujourd’hui nous avons des amis et une vie sociale. Mais c’est la première fois que j’ai senti que je pouvais comprendre les expats qui restent dans leur coin, qui ne se mêlent pas aux autres et, finalement, passent tout à fait à côté des rapports humains dans une énième ville d’accueil.

 

Illusoire intégration

 

En revanche, nous n’avons pas encore (après presque quatre ans !) d’amis chinois, sauf un couple où lui est Français et elle Chinoise : c’est la seule ! Partout ailleurs, nous avions des amis hors de la communauté des expatriés, ici c’est plus difficile. Je crois que de toute façon, l’idée d’une intégration en Chine est illusoire, on ne vit pas de la même façon.

Pour les Chinois, avoir 5 enfants nous fait déjà passer pour des ovnis absolus. Et le fait que je travaille me catalogue dans la rubrique « mère indigne ».

La mentalité, ici, est aux antipodes de ce que nous connaissons. L’enfant, unique, est pourri gâté jusqu’à son adolescence. Enfant-roi, il est le maître absolu dans la maison. Paradoxalement, on lui met également une pression de réussite terrible : il est le seul, il doit réussir, rendre fière sa famille, il n’a pas le droit à l’erreur. Du coup, dans le boulot, cela donne des comportements d’une compétitivité surnaturelle pour nous autres Européens, ils sont sans cesse en train de se mettre en avant par rapport aux autres. Et en même temps, curieusement, ils ont un esprit communautaire et global que nous ignorons totalement.

La Chine est un pays fascinant, très contrasté, d’une mixité absolue, avec 1 milliard 300 millions d’habitants, c’est inouï ! Vivre à leurs côtés fait réfléchir sur nos propres modèles, sur notre capacité à évoluer, sur notre démocratie.

 

L'apprentissage du chinois

 

J’ai appris le chinois, de la même manière que j’avais appris le turc ou le polonais : le turc, tu l’apprends au contact des gens. Le polonais, c’est facile, c’est consonne-consonne-voyelle ! Le chinois, ça a été plus long, j’ai pris pas mal de cours. Je le comprends, mais ne l’écris pas du tout.

Je n’envisage pas de vivre dans un pays sans en parler la langue, et j’avoue avoir de très grandes facilités à apprendre les langues étrangères… que j’oublie dès que je pars vivre ailleurs ! Mais cela ressurgit au bout de quinze jours si je reviens. Mon mari Nicolas, lui, n’a pas eu le temps d’apprendre, parce qu’il est moins doué !... et qu’il voyage beaucoup trop, tout se fait en anglais.

 

Un quotidien nécessairement très organisé

 

Je parle cependant peu ici, à part sur le marché, ou avec la nounou, la femme de ménage ou le chauffeur. Ici, il est très commun d’avoir un chauffeur : les sociétés préfèrent payer un chauffeur et ne veulent pas que nous conduisions, j’imagine que c’est trop risqué. La plupart des cadres ici ont un chauffeur, ce n’est pas exceptionnel. La contrainte, c’est que tout doit se prévoir, on ne va pas faire son marché sur un coup de tête, ni pique-niquer le week-end avec les enfants. Le chauffeur habite à presqu’une heure de la maison, on ne lui demande tout de même pas de faire le pied de grue toute la journée devant chez nous le week-end, et du coup, nos emplois du temps, même le dimanche, sont très organisés !

Je suis en 4/5ème, j’essaie de ne pas travailler le vendredi. Mon quotidien ne diffère pas beaucoup de toutes les femmes qui travaillent, qui s’occupent de leurs enfants le soir. Bien entendu, ce quotidien est largement facilité par les aides à domicile dont nous disposons. Avoir une nounou et une femme de ménage, en Europe, induit un niveau de vie beaucoup plus élevé que celui que nous avons ici. C’est un des avantages de l’expatriation dans des pays où la main d’œuvre est nombreuse et accessible. Nous sommes installés dans une maison, dans le centre ville, ce qui est plutôt privilégié.


J’explique à la nounou, qui cuisine également, comment faire « nos » recettes. Ici, les supermarchés avec tout dans un seul endroit n’existent pas : les courses se font dans quinze échoppes différentes.

 

L'école

 

Nos enfants sont dans le système scolaire américain, pour plusieurs raisons.

D’abord, parce qu’à Canton, l’école française n’est pas très réputée. Ensuite, parce que le système américain, au moins dans les petites sections, donne une assurance fantastique à un enfant. C’est quelque fois un peu exagéré, tout est « great » et « wonderful », même le moindre petit gribouillage, mais c’est une méthode qui les rassure, qui les épanouit dans un environnement qui pourtant n’est pas le leur, et leur donne le goût d’apprendre.

Les premières années, j’envoyais des devoirs à corriger en France, via le CNED. C’était une horreur, la prof qui corrigeait renvoyait toujours les copies avec des remarques blessantes, des annotations négatives, on a vite abandonné.

Pour le secondaire, nous voudrions qu’Alix aille vers le système français, mais jusqu’ici, la méthode américaine a été plus intéressante. L’une des conditions d’acceptation de notre futur lieu de résidence est qu’il y ait un lycée français.

 

Tous en voyage !

 


Depuis que nous sommes ici, et surtout depuis qu’Oscar a trois ans, nous voyageons beaucoup.

Nous faisons des sauts de puce en Chine, mais aussi dans toute l’Asie. Nous sommes à deux heures en avion de Hong Kong, et nous y sommes allés quelques fois. C’est extraordinaire, c’est un choc d’une autre nature, ça bouge très vite, il y a des restos, des endroits hallucinants, c’est beaucoup plus excitant que Canton. D’ailleurs, peu d’amis sont venus nous voir : nous donnons plutôt des rendez-vous pour passer des vacances ailleurs en Asie, dans des pays plus accessibles culturellement, comme le Vietnam, la Thaïlande, le Japon, les Philippines.

 

Lointaine France

 

Nos parents viennent nous voir une fois par an. Mais à 800/900 euros le billet, on ne retourne pas en France sur un coup de tête, même si j’adore faire la surprise de notre venue (à deux, sinon le budget devient dément).

Récemment, nous avons eu la chance de pouvoir acheter une maison à Pornic, et maintenant, c’est le rendez-vous des copains et de la famille l’été. C’est grand, c’est le souk, mais tout le monde est enfin là.

Et ça a beaucoup apaisé mes coups de blues. Parce que ma seule vraie grande frustration est d’être loin de mes proches, de mes parents qui vieillissent et ne voient leurs petits-enfants que trois fois par an, d’être triste chaque fois que je pars. Maintenant je peux me dire : « allez, fais un effort, dans cinq mois tu es à Pornic avec tout le monde ! ». Skype ou Facetime, c’est bien (Facebook est interdit en Chine), mais ça ne remplacera jamais un vrai face-à-face. C’est frustrant, mais c’est une vie que nous avons choisie, et qui est très riche, selon nos critères.

Nous sommes ici depuis bientôt quatre ans, les contrats d’expatriés sont en général de trois ans… bref, on va bientôt bouger. Et puis, un jour, nous rentrerons en France, j’éspère. Pour le moment, nos filles idéalisent totalement la France, qu’elles ne connaissent que pour les vacances : une fois qu’elle y vivront, elle l’aborderont comme un pays étranger de plus ! »


* Bienvenue, en cantonais. Phonétiquement : Houane Ying en prononçant le H comme la jota espagnole et Ying comme le Ying et le yang.

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