Grand-Place, plaisirs à volonté

Paru dans JV 46 - déc-jan 2015 | Texte : Quentin Noirfalisse, Photos : Laetitia Bazzoni

Calé entre le boulevard Anspach et la Gare Centrale, le quartier de la Grand-Place déroule en continu son numéro de charme. Ses délices architecturaux, son grand choix de bars et de magasins happent rapidement les touristes. Son ambiance, ses impasses imprévues et son histoire tourmentée, elles, continuent de séduire les Bruxellois et les expatriés qui ont posé leurs valises dans le centre de la ville. C’est sans doute l’une des plus belles places du monde. Voire « la plus belle ». Ce n’est pas nous qui le disons, c’est Victor Hugo, qui séjourna pendant six mois sur la Grand-Place de Bruxelles après avoir fui Paris et le coup d’État de Napoléon III, en 1851. Les liens entre ce lieu hautement symbolique de la capitale et les écrivains français ne s’arrêtent pas à l’auteur des Misérables. Théophile Gautier qualifiait l’Hôtel de Ville, chef d’œuvre gothique datant du début du XVe siècle, d’« édifice miraculeux ». Même sur Baudelaire, qui nourrissait pourtant une haine définitive envers ce Bruxelles « désertique, incompréhensif et hostile » qu’il habita pour fuir ses créanciers parisiens, la Grand-Place parvint à laisser une impression agréable. Devenue patrimoine mondial de l’UNESCO en 1998 et le repaire numéro un des touristes passant par Bruxelles, la place et les nombreuses ruelles qui y mènent et l’encerclent sont porteurs d’une histoire tourmentée. Au Xe siècle, alors que Bruxelles commence à peine à naître, elle n’est qu’un îlot sablonneux posé sur un vaste marécage, à la croisée de routes commerciales d’envergure. Petit à petit, et grâce à la proximité du château des Ducs de Basse-Lotharingie (situé sur l’actuelle place Saint-Géry) un marché, le Nedermerkt (marché inférieur), se développe. On en retrouve des mentions dès 1174. Aux abords de l’actuelle Grand-Place, de la rue du Marché aux Herbes et de la rue Chair et Pain, poussent des immeubles abritant des halles au pain, aux viandes et aux draps, propriétés du duc de Brabant. La place elle-même n’est entourée que de maisons en bois ou, pour les citoyens les plus riches, en pierre, appelées les « steenen ». Durant les XIVe et XVe siècles, la place va s’urbaniser. Une magnifique fontaine de huit bassins est construite en son centre. En 1401, on entame l’Hôtel de Ville, unique témoin actuel de cette époque. L’édification s’achèvera avec le campanile, surplombé par la fameuse statue de saint Michel terrassant le dragon.

Bombardement et renaissance

GrandPLace1La Grand-Place devient le poumon économique de Bruxelles et accueille les grands événements, dont la procession de l’Ommegang, qui continue jusqu’à aujourd’hui. C’est aussi le lieu des joutes et des exécutions publiques. Au fil du temps, les marchands et les corporations (de bateliers, sculpteurs, charpentiers...) prennent les rênes du quartier, grâce à leur rayonnement commercial. En toile de fond, la Grand-Place devient le lieu d’une lutte de pouvoir entre, d’un côté, les autorités locales (le Magistrat) et les marchands, et, de l’autre, le pouvoir des ducs de Bourgogne. Pour contrer symboliquement le Magistrat, le duc de Brabant fait construire la Maison du Duc, juste en face de l’Hôtel de Ville. Elle sera renommée en Maison du Roi quand Charles Quint, duc de Bourgogne, sera sacré roi d’Espagne. Ayant pris lentement forme, le quartier et Bruxelles dans son ensemble essuient un coup presque fatal en 1695. La ville, qui appartient aux Pays-Bas espagnols, a subi, comme toute la région, un siècle difficile, marqué par des conflits à répétition. La France de Louis XIV mène une politique expansionniste vers le nord. Durant trois jours, les troupes françaises bombardent la ville. Du côté de la Grand-Place, l’incendie emporte tout sur son passage. L’ossature de l’Hôtel de Ville tiendra le choc, mais il faut reconstruire les 31 maisons de la place et le quartier dans son ensemble. Comme si elle plaçait sa vengeance au niveau esthétique, la Grand-Place deviendra plus belle encore. Pour se différencier les unes des autres, les corporations choisissent des styles variés pour l’ornementation de leurs façades. Ainsi, on peut y trouver des influences purement classiques à la « Louve » (chaque maison porte le nom d’un animal, d’un lieu ou d’un objet) et, juste à côté, au « Cornet », des touches de baroque italien. A l’arrivée des Sans-culottes à Bruxelles, la Grand-Place subira encore les foudres de l’Histoire, les révolutionnaires décidant de saccager toute référence architecturale à l’Ancien Régime, n’épargnant ni les statues ni les peintures murales. Les maisons des corporations seront reprises par l’État et vendues. Les bâtiments perdront de leur éclat avant des travaux de rénovation à la fin du XIXe siècle. En 1959, la place perd sa fonction de marché. Elle deviendra même tout un temps un parking !

Paradis des noctambules

GrandPLace4Aujourd’hui, la vie du quartier se rythme grâce au succès touristique de sa place. Une bonne partie du million et demi de touristes qui arrivent chaque année à Bruxelles la foulent et se perdent dans les impasses de l’Ilot Sacré, où subsistent des estaminets vieux parfois de trois cents ans (comme celui du Théâtre de Toone). Ses alentours eux, accueillent leur lot d’expatriés, ravis des possibilités offertes par le centre-ville. Gaëlle, jeune ergothérapeute, a choisi d’habiter rue du Marché au Charbon, à quelques encablures de la Grand-Place, pour son attrayante position centrale. « Je devais commencer une année de stage, et je ne savais pas encore où c’était. En optant pour ce quartier, j’étais à équidistance de plusieurs possibilités. Le quartier est extrêmement animé et je suis fan d’électro, plusieurs bars en proposent dans les parages et en cinq minutes on est rentré chez soi. La présence de touristes à peu près partout, ça m’a également permis d’entretenir mon anglais et mon espagnol. En plus, moi qui ai peur de rentrer seule, on est sûr que même à 4h du matin, il y a des passants en rue. » Antoine, graphiste et preneur de son dans une société de production audiovisuelle est installé dans le quartier depuis dix ans. A l’origine, il est venu pour étudier le journalisme à l’IHECS, l’école de communication située près du Manneken Pis. Depuis, il est resté et vit en colocation. « Les gros avantages, c’est d’abord la proximité de tous les commerces, du supermarché chinois au supermarché tout court en passant par le Brico, les boutiques de seconde main et la rue Neuve. Ensuite, on est proche de deux des stations de transport les mieux desservies de Bruxelles : Bourse et De Brouckère. » La Nuit Blanche, le Jazz Marathon, le Brussels Summer Festival, l’Ancienne Belgique, le Musée de la Bande Dessinée, la Monnaie, les soirées au Beurschouwburg parsèment une offre culturelle garantie presque 365 jours par an. Les multiples bars de l’impasse de la Fidélité ou du quartier Saint-Jacques boucleront le parcours aux plaisirs offert par le centre-ville. « Après, quand on vient habiter ici, il faut bien se rendre compte qu’on ne peut pas s’endormir facilement avec la fenêtre ouverte, explique Gaëlle. Et si au début, j’aimais beaucoup cet environnement touristique, puisque je n’étais moi-même pas une Bruxelloise, je reconnais que je m’échappe parfois vers Flagey ou Saint-Gilles pour changer d’air. » Antoine complète : « Le point négatif, c’est la concentration de touristes. On a l’impression qu’ils sont tous regroupés ici. Quand cinquante Chinois occupent le trottoir et qu’on est pressé, on a l’impression que le quartier ne nous appartient plus. Beaucoup de commerces sont dédiés aux touristes et leur présence gonfle les prix. Je pense au nombre de fois où j’ai dû expliquer à l’épicier que je vis dans la rue d’à côté, afin d’avoir une bière à un prix raisonnable ! »

Flambée immobilière

GrandPLace3Atypique, de par sa fréquentation et la densité des activités qu’il propose, le quartier de la Grand-Place et ses alentours directs occupent également un statut à part dans l’immobilier bruxellois. « Près de la Grand-Place même, les commerces occupent une grande partie du bâti et les étages sont souvent inoccupés. On trouve des appartements superbes dans les galeries Saint-Hubert et il y a un peu d’offre au niveau de la rue des Fripiers ou de la rue de la Montagne, explique Pablo De Doncker, notaire établi dans le centre-ville. Après, il y a bien sûr pas mal de logements pour étudiants. » La proximité de plusieurs Hautes écoles engendre une présence de colocations, qui tournent, pour trois personnes, autour des 1.000 € par mois. Un kot étudiant avoisinera les 400 € par mois. « D’une rue à l’autre, on pourra trouver une importante disparité de prix, complète Pablo De Doncker. Les logements dans le quartier de la Bourse-Dansaert sont très recherchés et les acheteurs peuvent mettre des prix colossaux, mais à quelques dizaines de mètres, on peut retrouver des logements sociaux de qualité très moyenne. » A l’achat, les prix au mètre carré oscille entre 3.000 et 4.000 €. « On a assisté à une augmentation spectaculaire ces dernières années, selon Patrick Menache, fondateur du réseau immobilier Macnash. Il y a un effet de mode autour du quartier Dansaert-rue de Flandre tout d’abord, et ensuite on assiste à un afflux de “young urban professionnals” qui veulent résider au cœur de la ville, disposent de très bons salaires et pour qui ça ne pose pas de problème de payer 3.000 € par mètre carré. » Les rénovations se multiplient ainsi de l’autre côté du boulevard Anspach et de nouvelles pratiques immobilières sortent des marges. « Des appartements sont désormais uniquement consacrés pour faire de l’Air B’n’B et certaines personnes investissent dans des immeubles pour les transformer en espaces de logement à court terme, constate Patrick Menache. Il y a également énormément de locations à court terme, pour un, deux ou trois mois. Ce sont des gens en mission, qui n’hésitent pas à mettre 2.000 € pour un loyer d’un mois. » Véritable melting pot de touristes, Bruxellois de longue date, étudiants venus de toute la Belgique et d’expatriés, le centre-ville risque, vu l’attrait qu’il génère, de devenir de plus en plus exclusif.

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